EN BREF
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Le bilan carbone, mis en place il y a vingt ans, vise à mesurer les émissions de gaz à effet de serre (GES) pour mieux comprendre et réduire leur impact environnemental. Bien que son utilisation soit désormais réglementaire pour de nombreuses organisations, seulement 53 % des entreprises éligibles ont effectivement réalisé un bilan entre 2014 et 2021. Cela révèle un décalage entre les obligations légales et leur application, en partie en raison de sanctions peu dissuasives. De plus, les émissions indirectes, qui représentent 75 % des rejets, ne sont prises en compte que récemment. Malgré ces efforts, des doutes subsistent quant à l’efficacité réelle du bilan carbone pour impulser une transition écologique significative.
Depuis son introduction il y a vingt ans, le bilan carbone a été présenté comme un outil crucial pour mesurer les émissions de gaz à effet de serre et atténuer l’impact du changement climatique. Alors que les projections climatiques suggèrent que la température mondiale pourrait augmenter de plus de 2 degrés, il est essentiel de se pencher sur l’efficacité et l’adoption de cet outil. Cet article explore les origines du bilan carbone, son traitement au sein des organisations, ainsi que son efficacité à induire des changements réels dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Origines du bilan carbone
L’histoire du bilan carbone remonte aux années 1990, lorsque l’idée de quantifier les émissions de carbone a commencé à émerger au sein des discussions sur le réchauffement climatique. Avant la ratification du protocole de Kyoto en 1997, les préoccupations à propos des émissions étaient déjà présentes, mais les méthodes de quantification faisaient défaut. C’est dans ce contexte que des pionniers comme Jean-Marc Jancovici ont pris l’initiative de créer des outils de mesure et d’évaluation des émissions de gaz à effet de serre.
La nécessité de mesurer les émissions a été reconnue, et l’Ademe a développé une méthodologie formelle pour aider les entreprises et collectivités à évaluer leur impact environnemental. Cet effort a permis de poser les bases d’une comptabilité carbone qui est désormais un élément central dans les stratégies de durabilité de nombreuses organisations.
Cadre légal et adoption du bilan carbone
Depuis le Grenelle de l’environnement en 2010, il est devenu obligatoire pour les collectivités de plus de 50 000 habitants, ainsi que pour certaines organisations privées et publiques, d’estimer leurs émissions de gaz à effet de serre. Paradoxalement, malgré cette obligation, de nombreuses entreprises échappent à cette responsabilité. Une étude a révélé que seulement 53 % des entreprises non cotées concernées ont publié leur bilan GES entre 2014 et 2021.
Cette situation soulève des questions quant à l’engagement réel des entreprises dans la lutte contre le changement climatique. Les amendes applicables en cas de non-conformité, allant jusqu’à 20 000 euros, sont jugées insuffisantes pour inciter à l’action. Ce manque de pression réglementaire pourrait expliquer pourquoi tant d’entreprises, surtout les plus petites, choisissent de minimiser leurs efforts pour établir un bilan carbone.
Évaluation de l’efficacité du bilan carbone
Le bilan carbone, bien qu’il crée une « photo à un instant T » des émissions d’une organisation, ne garantit pas nécessairement que des mesures concrètes seront prises pour réduire ces émissions. Sylvain Waserman, président de l’Ademe, souligne que même si l’outil génère des dynamiques, son efficacité pour impulsionner une réelle transition écologique est mise en question.
Une des critiques majeures est que la majeure partie des entreprises émettrices ne publie pas son bilan, ou que celui-ci ne répond pas à l’intégralité de la problématique environnementale. Par exemple, les émissions indirectes, qui représentent environ 75 % des gaz à effet de serre des entreprises, ne sont officiellement prises en compte que depuis 2023. Cela signifie que de nombreux aspects critiques de l’impact environnemental restent non mesurés, laissant des lacunes dans l’évaluation des efforts de décarbonation.
Défis liés à la mise en œuvre
De nombreux défis rendent difficile l’évaluation et la mise en œuvre effective du bilan carbone. En premier lieu, les entreprises dans des secteurs tels que le transport aérien, l’élevage, et la métallurgie affichent des réticences à divulguer leurs données et à s’engager dans des objectifs de réduction. Cette résistance provient souvent d’une crainte de voir leur contribution au changement climatique mise en lumière, mais également d’un manque de volonté de s’engager dans un processus de transformation.
Cette situation est d’autant plus problématique dans un contexte où le changement climatique nécessite des actions rapides et significatives pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de 55 % d’ici 2030. Les appels à action, bien que formulés, semblent encore timides face à l’urgence de la situation.
Le bilan carbone et les inégalités sociales
Un autre aspect négligé dans la discussion sur le bilan carbone est son lien avec les inégalités sociales. La mise en œuvre d’initiatives de réduction des inégalités environnementales doit être intégrée dans la stratégie globale de décarbonation. De nombreux acteurs du mouvement pour la justice climatique soulignent que la transition écologique ne peut pas se faire sans reconnaître et traiter les fractures sociales existantes.
Il est crucial de développer des synergies entre les luttes sociales et environnementales pour promouvoir une transformation qui ne privilégie pas un groupe sur un autre. En intégrant des considérations sociales dans les bilans carbone, les organisations peuvent mieux rendre compte de leur impact collectif sur l’environnement et réduire les inégalités existantes.
Vers une amélioration des pratiques
En réponse aux critiques et aux limitations du bilan carbone, des acteurs de la société civile et des agences comme l’Ademe œuvrent pour améliorer la méthodologie et la rigueur du processus de comptabilité carbone. Il leur apparaît nécessaire d’implémenter des normes plus strictes et d’y intégrer des récompenses et des incitations pour les entreprises qui s’engagent véritablement dans la réduction de leurs émissions.
Des propositions, telles que l’établissement de contraventions basées sur un pourcentage du chiffre d’affaires, sont suggérées pour renforcer la responsabilité des entreprises en matière de bilan carbone. Cela inciterait les organisations à aller au-delà du simple calcul et à chercher activement des solutions innovantes pour diminuer leur empreinte écologique.
Vers une coopération internationale
La lutte contre le changement climatique nécessite plus qu’une action au niveau national ; elle appelle une réponse collective à l’échelle mondiale. Le bilan carbone doit évoluer pour permettre une coopération internationale visant à standardiser les méthodes de comptabilité et à partager les meilleures pratiques.
Les pays et les entreprises doivent travailler ensemble pour développer des approches harmonisées, ouvrant la voie à des évaluations comparables et à des mesures communes face aux défis environnementaux. Des initiatives telles que celles décrites dans des documents académiques et des rapports d’agences offrent des pistes potentielles pour une meilleure synchronisation des efforts mondiaux contre le changement climatique.
Alors que le bilan carbone continue d’être un outil utile dans la lutte contre le changement climatique, il lui reste encore un long chemin à parcourir. Entre les obligations réglementaires, la réticence des entreprises et les lacunes dans les pratiques, il est primordial d’adapter et d’améliorer cet instrument pour qu’il puisse réellement contribuer à la décarbonation à grande échelle et à la réalisation d’une justice climatique à l’échelle mondiale. Le succès futur de ce bilan dépendra de sa capacité à intégrer des considérations sociales, à encourager l’action collective, et à pousser les organisations à agir au-delà du simple reporting.

Impact réel du bilan carbone : témoignages à deux décennies de son lancement
Le bilan carbone a été introduit au début des années 2000 avec l’objectif de évaluer les émissions de gaz à effet de serre et de proposer des stratégies pour les réduire. Aujourd’hui, deux décennies après son lancement, les acteurs concernés partagent leur point de vue sur son efficacité et son impact réel.
« Le bilan carbone a été un tournant pour notre entreprise. Au départ, cela semblait être une contrainte, mais nous avons compris qu’il s’agissait d’une opportunité d’améliorer notre performance et d’augmenter notre responsabilité environnementale », témoigne le directeur d’une PME ayant adopté cette méthode dès les premières années de sa mise en œuvre. « Nous avons réalisé que réduire notre empreinte carbone était non seulement bon pour la planète, mais aussi profitable économiquement. »
Pourtant, la réalité n’est pas aussi uniforme. « Seules 53 % des entreprises éligibles ont publié un bilan GES entre 2014 et 2021, ce qui montre que beaucoup ne s’engagent pas réellement dans la démarche », note un consultant en développement durable. « Cela soulève des questions sur la véritable volonté des entreprises d’apporter des changements significatifs, surtout dans des secteurs à forte émission comme le transport et l’industrie lourde. »
Une collectivité locale, quant à elle, souligne l’importance du bilan carbone dans le cadre de sa politique environnementale. « Grâce à cet outil, nous avons pu mettre en lumière nos faiblesses et définir des objectifs clairs pour diminuer nos émissions. Cependant, il est crucial que ce système soit renforcé par des sanciones plus sévères pour inciter davantage d’acteurs à se conformer », explique une élue verte.
D’autres voix se font entendre, plaidant que le bilan carbone est un outil limité. « En se concentrant essentiellement sur les émissions de gaz, il occulte d’autres problèmes environnementaux comme la pollution de l’eau et la dégradation de la biodiversité. Il ne suffit pas de quantifier les émissions ; il faut également adopter une perspective plus globale », déclare un expert en écologie.
Enfin, des acteurs du secteur associatif soulignent l’urgence d’agir sans tarder. « Mesurer, c’est bien, mais agir, c’est mieux. Nous avons besoin de passer aux actes et de structurer des plans de transition qui vont au-delà des simples bilans. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons espérer contribuer à un réel changement face à la crise climatique », conclut une responsable d’une ONG dédiée à la justice climatique.